Sur Walfadjri : Abdourahmane Sarr, ancien haut fonctionnaire du Fmi : ‘Les rumeurs sur une dévaluation du CFA ne sont pas fondées’
Ancien représentant du Fmi au Togo et au Bénin, Abdourahmane Sarr a récemment quitté ses fonctions pour se consacrer à son pays à travers le Centre d’étude pour le développement local (Cefdel) qu’il dirige.Economiste et spécialiste de la monnaie, il analyse, ici, les répercussions de la crise de la zone euro sur l’économie africaine en général et le franc Cfa en particulier.
Wal Fadjri : La crise de l’euro n’est plus une vue de l’esprit. Quelles peuvent en être les conséquences sur le franc Cfa ?
Abdourahmane SARR : Comme vous le savez, le franc Cfa est arrimé à l’euro. Quand l’euro se raffermit, le franc Cfa se raffermit automatiquement. Disons que quand l’euro perd de la valeur, le franc Cfa perd aussi de la valeur parce qu’il y a une parité fixe entre l’euro et le franc Cfa. Les choses qui affectent l’euro dans un sens ou dans un autre nous affectent aussi directement. Il y a des rumeurs qui courent, faisant état d’un démantèlement de l’euro. La question qui se pose est de savoir est-ce que l’euro fort, qui reflète la force de l’Allemagne, est la monnaie qu’il faut pour un pays comme la Grèce qui n’a pas la force de l’Allemagne ? Si jamais quelque chose devait arriver à l’euro dans un sens ou dans un autre nous serions affectés.
On parle de plus en plus d’une probable dévaluation du franc Cfa. Est-ce que, selon vous, ces rumeurs sont fondées ?
Je ne pense pas qu’il faille dévaluer le franc Cfa et je ne pense pas que ces rumeurs soient fondées. Je le dis pour plusieurs raisons. Je dis que, d’abord, nous avons des réserves de change qui sont assez consistantes. A mon avis, je dirais même excessives pour répéter le président Wade. De ce point de vue-là, il n’y a pas péril en la demeure pour dévaluer le franc Cfa. Ceci étant dit, cela ne veut pas dire que le franc Cfa n’est pas surévalué. Pourquoi ? Parce que le franc Cfa est arrimé à l’euro, tout ce qui arrive à l’euro nous arrive. Donc, le niveau de l’euro peut ne pas correspondre au taux du Cfa par rapport à nos fondamentaux. Si on devait évoluer vers ce régime de change beaucoup plus flexible que je prône, peut être qu’en la circonstance ça se serait traduit par une dépréciation ensuite peut être une appréciation et ensuite une dépréciation en fonction des conjonctures et en fonction des besoins des fondamentaux de nos économies.
On n’entend pas les dirigeants africains s’exprimer malgré la menace. Est-ce qu’ils n’ont pas voix au chapitre ?
Si vous prenez l’exemple de l’Uemoa et de la Cemac, c’est nous qui avons choisi d’être arrimé à l’euro. Donc nous subissons ce qui se passe en Europe. Si on avait un régime de change différent, le niveau de ce taux de change refléterait nos propres fondamentaux. Mais nous avons choisi de nous arrimer à l’euro donc nous ne pouvons que subir les conséquences. Mais, heureusement, en ce qui nous concerne, nous avons déjà fait l’ajustement macro-économique dans les années 1980-1990. Donc, nos fondamentaux sont bons. Lorsqu’on parle de Pib qui fait plus de 100 % dans des pays européens qui font face à la dette aujourd’hui, nous au Sénégal on a un taux d’endettement de 40 % du Pib. Donc, si la Grèce avait un tel taux d’endettement, elle serait très contente. Je disais récemment que nous avons des réserves de change qui sont consistantes au sein de l’Uemoa. Il n’y a pas péril en la demeure.
‘Nous devons faire évoluer le régime de change vers quelque chose de plus flexible qui refléterait davantage nos propres fondamentaux’
Le problème serait donc cette parité fixe avec l’euro ?
Je ne dirai pas problème. Est-ce que la parité est une bonne chose ou pas ? Mais le fait que nous ayons une parité fixe par rapport à l’euro fait que nous subissons ce qui leur arrive, que cela nous arrange ou pas parce que parfois cela peut nous arranger. A supposer qu’on ait besoin d’une dévaluation et que, à cause des problèmes de l’euro, que celui-ci perde de la valeur. Cela nous arrange automatiquement mais, c’est tout simplement la conséquence de facteurs exogènes sur lesquels nous n’avons pas de contrôle qui aurait permis cette dévaluation. Si ces facteurs exogènes se traduisent par une appréciation de l’euro au moment où l’euro fort ne nous arrange pas, on subirait les conséquences négatives de cette appréciation. On le sait tous, l’euro a été fort pendant une bonne période par rapport au dollar. Nous, étant arrimés à l’euro, cela nous a porté préjudice par rapport à notre compétitivité et notre capacité à exporter vers des pays émergents comme les pays asiatiques qui, eux, sont arrimés plus ou moins sur le dollar. Donc, lorsque l’euro s’apprécie on s’apprécie avec et lorsqu’on s’apprécie avec l’euro, on perd de la compétitivité par rapport aux autres pays qui, eux, sont arrimés au dollar.
Est-ce que les échanges et l’investissement sont menacés de baisse dans la zone Uemoa ?
Je ne le pense pas. En fait, l’un des avantages de l’arrimage, c’est un peu la certitude de la stabilité du franc Cfa par rapport à l’euro. Ce qui fait que certains disent que cette parité fixe nous a permis en fait d’attirer des investissements parce que la parité du franc Cfa et de l’euro n’a été changée qu’une seule fois dans l’histoire, si ma mémoire est bonne. Ça, c’est un facteur de stabilité pour des investisseurs qui auraient eu des appréhensions par rapport à la stabilité de ce taux. Ils investissent en se disant que cette parité-là, elle est assez stable. Le niveau du taux de change est très important pour notre compétitivité et incitatif pour les investisseurs. Si un investisseur vient investir pour une demande intérieure, celle-ci subit la concurrence de produits qui viennent de l’étranger. Si ces produits qui viennent de l’étranger sont beaucoup plus compétitifs, vous ne viendrez pas investir au Sénégal pour servir le marché local s’il est facile et peu coûteux d’acheter ces produits-là à l’étranger. On sait que tout le monde ici va en Chine ou à Dubaï pour acheter tout et n’importe quoi. Cela, c’est parce que l’euro et le Cfa sont très forts. Si vous allez dans ces pays-là, vous vous procurez presque tout. Y compris des choses que des Sénégalais eux-mêmes pourraient produire.
Selon vous, est-ce qu’on doit maintenir cette parité fixe ?
A mon avis personnel, nous devons faire évoluer le régime de change vers quelque chose de plus flexible qui refléterait davantage nos propres fondamentaux. Le niveau de l’euro peut nous arranger ou ne pas nous arranger. Disons que nous subissons les conséquences exogènes de ce qui se passe en Europe. Je crois qu’il est temps de réfléchir à notre propre régime de change et moi je dis qu’il faut le faire évoluer vers quelque chose de plus flexible.
Est-ce que cela suppose d’avoir une Banque centrale africaine ?
Je dirai que nous avons un bon arrangement dans la Banque centrale avec l’Uemoa. C’est une bonne chose que d’être ensemble : l’union fait la force. Mais je dirai qu’il faut faire évoluer le taux de change qu’on a en commun pour qu’il devienne beaucoup plus flexible et qu’il reflète nos propres fondamentaux. Vous savez, en Europe, à cause de leur crise, on parle d’une récession qui aurait des conséquences sur la conjoncture internationale et donc d’une récession mondiale. Une récession en Europe, qui se trouve être notre premier partenaire commercial, se traduirait par une baisse de la demande extérieure. Cette baisse de la demande extérieure se traduit par une baisse de la croissance chez nous, ou en tout cas du potentiel de croissance. Nous avons un taux de croissance qui tourne autour de 4 % mais qui n’est pas suffisant. Nous avons les pays émergents asiatiques qui ont un taux de croissance de l’ordre de 7 % ou plus. Même dans le contexte africain, le taux de croissance des pays de l’Uemoa, du Sénégal en particulier, est faible. Donc, en résumé, une récession en Europe, se traduisant en une récession mondiale, veut dire une baisse de la demande extérieure et une baisse de la demande extérieure réduirait notre propre potentiel de croissance. Alors, nous aurions eu nos propres instruments de gestion macroéconomique, nous avons l’outil budgétaire c’est sûr, mais si on avait eu l’outil de change, je ne suis pas sûr que cela se serait traduit en une dépréciation du franc Cfa. Mais nous subissons de plein fouet la baisse de la croissance.
‘Nous n’avons pas de politique monétaire. Notre politique monétaire c’est celle de la Banque centrale européenne’
Le Sénégal, un pays de la zone Uemoa, compte beaucoup de citoyens en Europe. Quels seront les comportements financiers et économiques de ces émigrés face à la crise ?
Les Sénégalais de l’extérieur envoient beaucoup d’argent ici. Ce sont eux qui tiennent beaucoup de familles en milieu urbain et en milieu rural. Je crois que cela doit tourner autour de 700 milliards de francs Cfa que les Sénégalais de l’extérieur envoient au pays. On a remarqué, dans les chiffres, que malgré la crise européenne, les envois de ces émigrés n’ont pas vraiment baissé. Quelles en sont les raisons ? C’est comme une dette que vous devez payer tous les mois. Vous n’avez pas le choix que de payer cette dette-là. Les Sénégalais de l’extérieur, avant de faire quelque chose pour eux-mêmes, envoient d’abord de l’argent à leurs parents qui dépendent d’eux. Ils sont affectés par la crise, mais ils se serrent la ceinture parce qu’ils ne peuvent pas ne pas envoyer de l’argent à leurs parents. Donc, disons qu’il y a un ajustement à leur niveau pour assurer ce qu’ils envoient à leurs parents qu’ils considèrent comme une dette, c’est notre culture.
Comment la zone Uemoa peut-elle parer ou du moins amoindrir les contrecoups d’une crise de l’euro ?
Lorsque tu as un choc extérieur qui se traduit par une baisse potentielle de ta croissance et de tes exportations, il n’y a que ta demande intérieure qui peut le pallier. Et en la circonstance, ce qu’il faut faire c’est avoir une politique monétaire ou budgétaire qu’on appelle contra cyclique. C’est-à-dire que tu as un choc extérieur, tu ne peux plus vendre à l’étranger ou pas autant qu’avant. Et donc il faut pallier ce manque à gagner de l’intérieur. Comment ? C’est soit le secteur privé intérieur ou le secteur public ou encore une politique monétaire assouplie pour alimenter la demande extérieure le temps que le choc exogène passe. C’est ce que le Sénégal a fait et presque tous les pays africains dans la conjoncture actuelle. Le déficit du Sénégal est élevé pour plusieurs raisons mais en partie pour pallier et faire face à ce problème de choc exogène.
L’autre chose, c’est que nous n’avons pas de politique monétaire. Je l’ai toujours dit, on ne peut pas être arrimé à l’euro, avoir un compte de capital à la balance des paiements ouverts vis-à-vis de la France et avoir une politique monétaire. Nous n’avons pas de politique monétaire. Notre politique monétaire, c’est celle de la Banque centrale européenne (Bce). Donc, on ne peut pas faire grand-chose de ce point de vue-là. Même baisser les taux d’intérêts n’aurait pas d’impact parce que les taux actuels que les banques appliquent n’ont absolument rien à voir avec ceux de la Banque centrale qui n’a pas d’impact sur le marché financier. Donc, la troisième possibilité c’est en principe la demande intérieure privée, qui est alimentée par l’accès au crédit. Et l’accès au crédit est difficile chez nous. Ce qui fait qu’il nous reste un seul levier, c’est la politique budgétaire. Mais, elle a ses limites. Parce qu’on ne peut pas se retrouver dans la situation de l’Italie ou de la Grèce en ayant des déficits budgétaires de 7 ou 8 % du Pib. A 40 % du Pib d’endettement, ce n’est pas mal. C’est assez faible aujourd’hui. Mais cela ne peut pas perdurer. Donc, il faut essayer de faire en sorte que la croissance soit beaucoup plus forte. (A suivre)
Source : Walfadjri
Propos recueillis par Seyni DIOP, Anaïs TANKAM et Awa THIAM (Stagiaires)